HYMALAYA
J'en avais entendu bien des choses, des pas jolies même, sur cette région. J'en avais rencontré aussi des gens, et pas qu'un peu, avec cette même certitude qui disaient "C'est la guerre!". Ces mêmes gens disaient aussi, toujours avec cette même conviction, très forte était-elle cette conviction, "C'est dangereux!", "Ils ont interdit l'accès au territoire", "Et ils ont interdit les vols", "Fait attention!", "Les gens là-bas sont fous". Ils sont surtout musulmans les gens là-bas. Après tout, c'était leur vérité. Un gypsy des montagnes m'avait dit "Les Hommes des villes parlent beaucoup trop". Il faut savoir avoir tort. Le monde est peuplé de gens avec des opinions, de gens qui ont raison. Et c'est pour ça qu'il écoeure. Disait Céline.
Je laisse derrière moi l'extrême chaleur, le silence des nuits désertiques (celles sans Allah), le chapati, le chai thea, le black tea, le train, la saleté de la rue, le traffic fou, un peu d'incivilité, l'indiscipline, le bien-être des douches chaudes, quelques maladies, les dealers, les gouroux, les profiteurs, les moustachus, les ânes, les serpents, les hindous, les temples, l'hindi, la mousson, le passé. Direction le Cachemire.
J'emporte la fraicheur des nuits désertiques, quelques tempêtes, du riz, le cricket, les militaires, la corruption, les barbus, les musulmans, le ramadan, les prières, Allah, les femmes voilées, les femmes soumises, les femmes qui n'osent ni te regarder, ni te parler ni même te sourire, un peu de misère, la pauvreté, un peu de chaleur, les rabatteurs, quelques maladies, les moustiques, quelques vaches, les chiens errants, des photogtaphies, des souvenirs.
A travers le hublot, j'entrevois l'Hymalaya et ses hautes montagnes.
A première vue, la vie semble moins chaotique ici, moins sale aussi, du moins en apparence. Les musulmans vont à la mosquée, prient et parlent religion, cricket et indépendance une bonne partie de la journée et de la nuit. Les femmes demeurent à la maison, voilées.
Les éclopés, les infirmes, les mains brulées, les têtes brulées, les enfants aux cheveux sales, les mères bordant leur bébé, les lépreux, les fauteuils roulants, les bras tordus, les jambes qui partent dans tous les sens, les cassés, les aveugles, les sourds, les handicapés mentaux, les malades, les malchanceux, les pauvres, les miséreux, les laissés pour compte, les oubliés de la vie se battent sur le trottoir, allongés ou assis priant l'aumône, le tout autours de la grande mosquée, au milieu du marché, cachés dans la foule. On leur marcherait presque dessus qu'on y ferait même pas attention.
Même ici, la pauvreté te guette. Parfois invisible, elle est bien présente. Au moindre faux pas, elle est prête à se jeter sur sa proie. Ce fut une après-midi qu'elle a sévit, dans la rue, comme toujours. Un enfant sale et à la chevellure crasseuse m'a suivi, tenu le bras et fini par m'arracher la bouteille de soda que je tenais dans les mains. Situation ridicule.
Il y avait bien ce vieux gars aussi qui lorsque nos bateaux se croisaient faisait en ma direction le signe de croix et ricanait. Ça a du sens, je suis blanc donc chrétien. Les ricanements en ont beaucoup moins. On ne peut blâmer l'ignorance.
La vie sur le lac s'articule autours: des bateaux qui vont et viennent, du climat changeant et aléatoire, de la beauté des montagnes, des oiseaux des eaux et des oiseaux des airs, des pêcheurs, des bateaux touristes, des vendeurs flottants et d'Allah.
Toujours le ramadan et toujours les mêmes prières recouvrant le silence de la nuit.
Le contexte est tendu. C'est une des zones les plus militarisés aux mondes alors des militaires il y en a à chaque coin de rue tu penses et des tanks aussi. Les habitants sont musulmans. Ils ne parlent pas hindi et ont des têtes de pakistanais. Ils aiment le Pakistan mais veulent leur indépendance. Ils détestent l'Inde et son armée. Et Dieu qu'ils aiment leur montagne. Les militaires violent en masse, emprisonnent souvent, se pavannent sur les trottoirs des villes ou les chemins que tracent les montagnes, donnent des ordres de direction à prendre aux passants par soucis d'autorité, corrompent par habitude, torturent quelque fois et tuent par accident sur une terre qui n'est pas la leur, des gens qui n'ont rien demandé si ce n'est peut être un semblant de liberté, le tout sous le contrôle du gouvernement indien. Alors tu penses la cohabitation est difficile. L'indépendance, on en est loin, "There will be blood" comme je le répète souvent.
Toujours aucune trace de la femme. Its a man, man's world.
Les Hommes des montagnes, appelés Gypsy, sont simples et modestes. Ils sont surtout très heureux. "Simple life" qu'ils disent souvent. Les gypsy vivent plus longtemps aussi, jusqu'à 150 ans même pour certains selon la légende. Leur secret: pas d'Hommes, pas de viandes, de la sérénité, pas de stress, de la nourriture saine et de l'eau naturelle des montagnes, pas d'inquiétudes, juste "Enjoy" qu'ils aiment souvent répèter. Ils aiment le silence des montagnes. Dans les villes, tout doit être dit. Il faut parler en permanence, converser, bavarder. Ils préfèrent de fait la lenteur à la vitesse. Les gypsy sont musulmans aussi alors même sur le toit du monde, Allah n'attends pas. C'est prière.
J'me dis aussi que si une guerre éclate, l'Hymalaya me protégera. C'est dans les villes que se passent les guerres. C'est là qu'il y a du monde à tuer.
Demain c'est la fin du ramadan, ou peut-être hier. A lieu alors un festival pour fêter l'occasion. Chacun son noël. Alors la veille c'est la cohue, tu penses il faut arracher les dernières patisseries, les derniers poulets même, que l'on égorge et étrippe à la chaîne, sur le trottoir et devant le client. Les musulmans, ça fait une semaine qu'ils attendent de manger. Nous, ce sont les cadeaux qu'on attend pendant des mois. Eux, ils vont à la boucherie et à la boulangerie. Nous, on va dans les magasins de jouets.
Jour de Noël. Les musulmans d'ici, les hommes habillés de blanc pour l'occasion vont prier tôt le matin dans les mosquées pleines à craquer. Ensuite c'est repas de famille. Les femmes dressent la nappe à même le sol. Les hommes s'assoient et mangent avec les mains. Tout y passe, poulets, moutons, canards, boulettes, sauces, légumes et riz. Les patisseries c'est pour l'après-midi. La nappe est dégueulasse. Le repas est consommé. Les femmes voilées débarassent la nappe, sans un mot ni même un regard. Les hommes lèvent le camp. Je n'ai rien mangé. Les hommes partent se distraire, cricket à la tv, pêche. Les femmes demeurent à la cuisine. Braver l'interdit: parler à une femme.
Les habitants ici pensent qu'il y a une vie après la mort, bien meilleure que la présente. Drôle de paris sur l'avenir.
Face à ce monde absurde, ça a du sens de se tourner vers la religion. Tout doit être expliqué et compris. L'Homme cherche des réponses et face à son incapacité à en trouver il se tourne vers la religion par facilité. Il abandonne sa condition humaine, la dénigre, la rejette. Allah a bon dos.
Les hommes et les femmes vivent dans deux mondes distincts, comme deux bêtes bien différentes. L'une est enfermée en cage, l'autre en liberté mais dont sa liberté s'arrête là où celle d'Allah commence. Les hommes et les femmes sont uniquement liés par le besoin et la nécessité de reproduction. Il n'y a bien que dans les hôpitaux où les femmes travaillent. Quel rôle ingrat que de maintenir un corps en vie.
Et quand la grand-mère tombe malade et s'apprête à mourir, ils retrouvent des valeurs humaines. Ils la pleurent. C'est tout le paradoxe de cette religion. La maladie et la mort réunient toujours, même les hommes et les femmes.
On ne peut pretendre débattre avec un musulman ici. Allez dire à un Homme que ce n'est pas de cette façon qu'on fait du vélo. Difficile de changer de langue maternelle. Ici on naît musulman on meurt musulman. C'est aussi comme leur parler dans une autre langue. Leur langue à eux c'est le coran. Ils apprennent le coran comme nous on apprenait la poésie à l'école, c'est par coeur. Pourtant la réponse qu'ils cherchent est évidente et n'est pas bien loin. C'est l'Hymalaya leur réponse. Ça se critique la religion, pas les Hommes.
A Srinagar, c'est la religion qu'on concomme, en abondance.
Pour un drôle de passe-temps c'en était un qu'on lui avait trouver à lui et dès la nuit tombée en plus. Pas très loin d'ici que ça se trouvait. "Allaaaaaahuu Aaaakbaaarrr" qu'il aimait chanter dans la nuit avec des intonations à chaque fois différentes. Il n'avait pas d'heures celui-là. C'est qu'il doit prendre du plaisir à trouver différentes sonorités avec seulement 2 mots. Qu'il avait une belle voix. Un putain de créatif oui. Il doit l'aimer aussi ce gars, Allah qu'il doit s'appeller. Tu ne peux lui échapper. Les hauts parleurs sont là pour te le rappeler. Mêmes les montagnes ne peuvent rien y faire. Pire, elles font écho.
La coupure d'internet pendant deux jours dans toute la ville fut les prémices d'une nuit ensanglantée, le tout sur fond de liberté. Pendant deux jours, la circulation des Hommes est limité, tout fut fermé, pas un chat dans les rues en l'hommage au chef militant, séparatiste combattant, tué par les militaires il y a un an. "Couvre feu" qu'ils appellent ça les corrompus, ceux au pouvoir, "restriction" aussi. L'armée rôde dans les rues comme jamais.
Les combats ne durent jamais bien longtemps, pas plus de quelques heures. L'armée tue ce qu'il faut d'hommes puis remballe son materiel jusqu'au prochain affrontement qui se déroulera incésemment sous peu, le tout en toute impunité sous le commandement du gouvernement indien. Les morts sont le plus souvent des jeunes, des étudiants même. Il faut être sacrément idéaliste pour demander la liberté, les jeunes le sont, plus têtes brûlées aussi. Bref eux n'ont rien à perdre les jeunes. Mais la liberté a un prix, celui du sang. La société ne pardonne pas aux idéalistes, encore moins aux rêveurs. Le lendemain, le cours normal de la vie reprends avec internet, les boutiques, les commerces, en somme la vie de la rue. Mais le sujet sur les évènements de la veille est tabou. Chuuut! L'armée rôde toujours, plus confiante encore, plus folle surtout. Qu'il est long le temps dans ces cas-là, pour les autres, les lâches qui ne se battent pas. Que ça fait drôle toute cette quête pour la liberté.
J'emporte avec moi des photographies, des connaissances, du relativisme et des souvenirs. Je laisse derrière moi le passé. Direction la "capisale".
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