PINK

Se faire embarquer par un gars à moto direction les bois -parce que je ne sais pas dire non- n’est pas chose aisé. Ils étaient deux. Dont un borgne en plus. Ca fait peur les borgnes. Ils ont de ces tronches. Et puis s’il avait été sourd encore, eux ils n’entendent rien de ce qu’on leur dit, c’est plus facile. Physiquement ils sont moins impressionnants les sourds. Mais lui, ses yeux partaient dans tous les sens. Des dealers donc. Ca fait drôle forcément d’être là seul avec eux, loin de tout. Mais ils ne sont pas bien différents des bêtes. Les drogués c’est tous les mêmes. J’en avais déjà rencontré moi des drogués, et des sympas mêmes. Ils sont tenaces mais pas très malins. Ils ne te lâchent pas, surtout ici. Dire « non » ne leur suffit jamais. Alors il faut être astucieux et garder le sourire, en somme, montrer qu’on n’a pas peur, comme avec les bêtes quoi. Et puis s’ils avaient bu aussi. Ils eurent été plus fragiles. Mais non, les drogués ne picolent pas. Ils ne sont pas vraiment méchants. Ce sont juste de mauvais vendeurs.

Habituellement, il est plus facile de se débarrasser des enfants, mêmes ceux qui pleurent que les dealers ou les gourous. Tu traces ton chemin, sans broncher. Tu lui jettes un regard quand même car la pitié te guette puis tu passes à autre chose jusqu’au prochain gamin, quelques mètres plus loin.

Cette fois-ci, ce fut différent. D’abord, il y avait cet enfant qui me barrait la route. C’était le « grandfather » qu’il disait, comprenez le parrain du quartier, un quartier musulman avec ses femmes voilées des pieds à la tête et tout et tout. Alors il me fit malgré moi visiter son champ de bataille. C’est drôle, il essayait de m’effrayer mais lui n’était pas borgne. Il a arrêté de me poursuivre à la limite de son quartier. J’avais connu un chien comme ça il y a quelques jours. Avec les chiens, c’est la maladie dont j’ai peur.

Encore l’autre fois, une rue plus loin, je suis passé devant cette famille sans abris. De là, les enfants ne m’ont plus quitté pendant des kilomètres. Eux n’en avaient rien affaire du territoire puisqu’ils étaient errants. Le plus vieux, dix ans peut-être, portait un bébé. C’était le plus pugnace et il y avait ses deux jeunes sœurs. Ils voulaient des chaussures, des vêtements, boire, manger, de l’argent même. Je ne crois guère à la pitié. Le fait est que c’était triste. J’avais beau avoir mis des écouteurs, un chapeau, des lunettes de soleil, un masque, des gants, une combinaison. Rien à faire ils étaient toujours là. Alors je marchais de plus en plus vite jusqu’à courir même. Toujours là. Les deux filles avaient abandonné depuis longtemps. Mais dieu qu’elles étaient belles mais la misère n’en a rien à affaire de ça. Le garçon s’accrochait à moi, me tirait, me prenait le bras. Alors je me suis envolé. Il a fini par me lâcher, comme ça, à bout de force, en plein vol. Ils se sont écrabouillés lui et le bébé sur le sol dans l’ignorance et l’indifférence la plus totale, malgré la marre de sang. Eux, c’était des gosses. Ça ne sait pas voler les gosses que je me suis dis. Il n’est pas commode de se faire harceler par des enfants. La misère, ça me tue.

Heureusement, ici il y avait la vue sur la ville. De là, tu ne vois pas la vie, ses détails, sa misère et tout ça tu penses. Et puis mieux vaut ne pas s’y attarder. Elle est belle la vue. C’est sûr qu’elle en mérite des photos elle. Il y a toujours de ces vues dans toutes ces villes. Elle attire le touriste, pas la pauvreté.